L’art naïf 256

Publié le par mostafa

L’art naïf

L’art naïf désigne une école de peinture, les « peintres naïfs », prônant un style pictural figuratif ne respectant pas — volontairement ou non — les règles de la perspective sur les dimensions, l'intensité de la couleur et la précision du dessin. L'inspiration des artistes naïfs est généralement populaire et le terme s'applique aussi à des formes d'expression populaires de différents pays, notamment au courant artistique le plus connu d'Haïti.

Dans le reste des arts, ce terme désigne également les œuvres d’artistes, le plus souvent autodidactes, qui se trouvent en décalage avec les courants artistiques de leur temps.

Au Québec, on emploie plus volontiers le terme d’« art indiscipliné », bien que celui d’art naïf soit parfois utilisé.

Origine du terme

Le terme « naïf » aurait été utilisé pour la première fois au XIXe siècle, pour qualifier les œuvres du peintre Douanier Rousseau, qui peignait hors des normes académiques, sans suivre pourtant les recherches picturales de l'avant-garde de l'époque, les impressionnistes.

En 1870, dans son poème Au cabaret vert, Arthur Rimbaud emploie le mot pour désigner des représentations picturales « maladroites » « je contemplai les sujets très naïfs de la tapisserie », ce qui est peut-être à l'origine de l'emploi « naïf » chez Guillaume Apollinaire quelque temps plus tard.

Caractéristiques

En peinture

S’agissant d’un mouvement non académique, l’art naïf ne possède pas de définition propre. Il se caractérise cependant par une représentation figurative de sujets populaires : paysages campagnards, costumes folkloriques, animaux domestiques ou sauvages. Du point de vue technique, cet art se caractérise par le non-respect — volontaire ou non — des trois règles de la perspective occidentale telles que définies depuis la Renaissance par Léonard de Vinci : la diminution de la taille des objets proportionnellement à la distance, l'atténuation des couleurs avec la distance, diminution de la précision des détails avec la distance.

Cela se traduit par :

  1. des effets de perspective géométriquement erronés qui donnent un caractère « ingénu » aux œuvres, une ressemblance avec des dessins d’enfants, ou rappellent la perspective signifiante des peintures du Moyen Âge — sans autres points communs ;
  2. l’emploi de couleurs vives, souvent en aplats, sur tous les plans de la composition, sans atténuation à l’arrière-plan ;
  3. une égale minutie apportée aux détails, y compris ceux de l’arrière-plan, lesquels devraient être estompés.

La codification et la pérennité de ce style mène à une autre forme d'académisme.

Critères généraux

Tout en reconnaissant que plusieurs définitions de l'art naïf existent, Robert Thilmany s'essaie à recenser un certain nombre de « caractères apparents », non exhaustifs, et communs à cet art1 :

  • l'« étonnement » provoqué chez le spectateur, qui n'est toutefois pas celui induit par des œuvres surréalistes plus calculées, telles que celles de Magritte ou Dali
  • le « parfum d'innocence »
  • le « dépaysement », dû à la vision non conventionnelle de l'artiste
  • la « fraîcheur d'expression », découlant du regard intérieur
  • un certain « infantilisme » voulu (à ne pas confondre avec les manifestations spontanées de l'enfant)
  • le « figé » naïf (s'opposant à la technique de l'enfant, qui se développe avec l'âge)
  • l'« insuffisance technique » (assumée, alors qu'elle est involontaire chez l'enfant)
  • la « gaucherie », qui ne constitue toutefois pas un critère de qualité ni de définition à coup sûr du genre
  • la « qualité picturale », qui peut compenser le manque d'habileté, mais ne doit pas faire tomber l'œuvre dans le genre « décoratif »
  • la « non-historicité » (pas d'évolution notable de ce courant pictural)
  • la « stylisation », trahissant une volonté, soit d'embellissement, soit de signification, soit de sublimation
  • la « simplification », traduisant à la fois la volonté de contourner certaines difficultés techniques, mais aussi de charger l'œuvre « d'un pouvoir signifiant, voire totémique, plus direct »
  • l'« aspect conteur » (sujets champêtres, bucoliques ou solennels…)
  • la « perspective mentale », qui fait peindre par exemple une fleur plus grande qu'un arbre ou une maison
  • l'« idéalisation », qui à travers des conventions plastiques peut révéler des tendances inconscientes profondes
  • la « vision ontique » (sensibilité au mystère ontique et existentiel des choses)
  • l'« imaginaire », pouvant tendre vers le fantastique, le merveilleux ou l'insolite, parfois le symbolisme ou l'ésotérisme
  • l'« humour », qui n'est ni grinçant ni grimaçant dans l'art naïf.

Thilmany s'attache également à distinguer successivement l'art naïf de l'art populaire, plus utilitaire, traditionnel, collectif), de l'art brut et de l'art des aliénés (auxquels il ne reconnaît pas de caractéristiques vraiment spécifiques). Il remarque que l'expressionnisme naïf est peu fréquent, et aussi que l'art naïf s'exprime bien plus par la peinture que par la sculpture par exemple, même si des cas existent.

Le point de vue de Malraux

Malraux lors de ses voyages en Haïti2,3 rencontra de nombreux peintres naïfs. Selon lui les artistes naïfs sont ceux qui

« osent croire que le temps n'est rien, que la mort même est une illusion et qu'au-delà de la misère, de la souffrance et de la peur [...] pour qui sait voir, respirer et entendre, un paradis quotidien, un âge d'or avec ses fruits, ses parfums, ses musiques[...]un éternel éden, où les sources de jouvence l'attendent pour effacer ses rides, ses fatigues »

Ainsi, de par le monde, il existerait selon lui

« cette confrérie des peintres et peintresses aux mains éblouies, en France à côté de nos portes, mais également au Brésil, aux États-Unis, en Haïti à saint soleil [ils seraient] les artistes de la grande espérance, les jardiniers miraculeux qui, pour le spectateur, font pousser des fleurs sur le béton »

Malraux faisait bien la différence entre les deux types de peintures qui règnent à Haïti. L'une naïve « doté d'un charme extrême mais avec les limites que l'on connaît » et l'autre d'origine vaudou « un art brut, des toiles fétiches, les oriflammes d'une Afrique brusquement reconquise ».

Architecture naïve du Palais idéal du facteur Cheval

La Libération de Paris de Lucien Le Guern

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
J'apprécie tout à fait la rigueur simple de l'analyse du "phénomène" dit Art Naïf, selon Mostafa. C'est clair tout en donnant les références les plus intéressantes (Vinci ou Malraux),; nul besoin de délayer: on peut avoir ainsi une approche de définition in a nutshell comme on dit en anglais... Merci.
Répondre